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« Reconversion dans les métiers d’art »

Quels sont vos formations et parcours ?

Pendant longtemps, je me suis cherché et n’avais pas forcément un choix d’orientation très précis. Etant bon élève, j’ai suivi la voie classique et sans réflexion sur ma personne ni mes envies : Bac S et prépa, puis du fait de mes engagements « associatifs », j’ai passé une licence de droit à Nancy. Je suis ensuite parti à la Sorbonne suivre un master de sciences politiques, et parallèlement je suis devenu assistant parlementaire au Sénat. Une fois le mandat de ma sénatrice fini, je suis retourné à l’école, en faisant la Prepa ENA de l’ENS à Paris.

Je n’avais toujours pas une idée très claire de ce que je souhaitais, mais l’envie de servir l’intérêt général semblait me satisfaire. Le milieu dans lequel je me suis retrouvé m’a fortement déçu, et le travail de bureau ne m’épanouissait pas complètement. J’ai donc décidé de partir en voyage autour du monde pendant une année en sac à dos. A mon retour, bien que je pouvais bénéficier des concours administratifs que j’avais réussi avant de partir, j’ai pris la décision de me reconvertir dans les métiers du bois, pour allier métier manuel et création, et je me suis tourné vers l’ébénisterie. J’ai donc entamé un CAP en ébénisterie à Liffol-le-Grand et une fois là-bas, j’ai découvert le métier de menuisier en sièges. J’ai donc fait un deuxième CAP spécialisé en menuiserie en sièges. Et une troisième année en Concepteur-Créateur, au CERFAV, une formation conçue pour accompagner une poignée de futurs artisans dans leurs projets de création d’atelier et de création d’objets. Depuis trois ans, je suis à mon compte.

Pourquoi avez-vous choisi de vous orienter plus spécifiquement vers la menuiserie en sièges ? 

J’ai découvert ce métier lors de ma formation en ébénisterie à Neufchâteau, à dix kilomètres de Liffol-le-Grand, une petite commune vosgienne connue dans le monde entier comme LA capitale du siège. Bien sûr, depuis quelques années, du fait de l’industrialisation, ce bassin a beaucoup souffert, on est passé de trente mille menuisiers et ébénistes à seulement quelques centaines désormais. Mais on y rencontre toujours des hommes et des femmes aux mains d’or, et toujours désireux de transmettre leurs savoir-faire. Me former en menuiserie en sièges, c’était déjà la chance de pouvoir bénéficier de ces sédimentations centenaires des savoir-faire accumulés par plusieurs générations. En particulier la possibilité d’être formé par un MOF. Et en menuiserie en sièges, l’utilisation d’outillage à main est beaucoup plus présente qu’en ébénisterie classique. Enfin, si en ébénisterie, on réfléchit et conçoit la plupart du temps ses pièces en plans, en 2D, à l’inverse en menuiserie en sièges on ne pense qu’en volume. Après tout, la menuiserie en sièges est bel et bien l’art de la courbe ! S’installer à son compte et se présenter comme un artisan créateur en menuiserie en sièges est un sacré défi, car il n’existe qu’une petite dizaine de menuisier en sièges, tous installés sur Paris, et qui travaillent essentiellement pour des designers ou dans la restauration.

Pourquoi avoir changé de voie ? Quel a été le déclic ?

J’ai eu plusieurs déclics. Le premier a été le moment où j’ai appris être admissible à la banque de France lorsque je passais les concours. A ce moment-là, alors que les choses commençaient à devenir plus réelles, j’ai réalisé que la seule chose dans laquelle je me projetais, c’était l’annonce à mes parents et leur fierté. Bien que cela soit important, ce n’était pas suffisant pour fonder le reste de ma vie. J’ai donc pris la décision de partir un an en solitaire autour du monde, pour réaliser un vieux rêve, et prendre du recul sur moi. Durant toute cette année, j’ai pu traverser des pays dans lesquels les travaux manuels sont beaucoup plus visibles que dans nos pays. Et cela m’a permis de réaliser que j’avais toujours eu l’envie de travailler de mes mains, et faire de la création.

Quelles ont été les motivations à votre choix de changement ? Pourquoi avez-vous choisi le métier d’ébéniste-menuisier en sièges ?

Derrière mon choix de reconversion, ce n’est pas simplement un choix de métier, mais un vrai choix de vie. S’inscrire dans les métiers d’art, c’est intégrer une longue chaîne humaine de préservation et de transmission des savoir-faire. Mais ce n’est pas uniquement une activité tournée vers le passé. Bien au contraire, être artisan d’art aujourd’hui représente un contre-modèle à la société prédatrice dans laquelle nous vivons. Défendre les métiers d’art, c’est bien sûr promouvoir des savoir-faire ancestraux, mais c’est aussi (si ce n’est surtout) défendre une vision : épanouissement au travail, rapprochement du travail dit « manuel » du travail dit « intellectuel », lutte contre la standardisation induite par la mondialisation et bien sûr privilégier les circuits courts et les modes de fabrication préservant la planète. Quant aux métiers d’ébéniste et de menuisier en sièges, ce sont des métiers que j’affectionne car la conception et la fabrication d’objets qui sont à la fois artistiques et décoratifs mais aussi des objets fonctionnels, est important pour moi. Et j’ai eu la chance d’être formé au métier de menuisier en sièges au cœur même du bassin Liffolois, internationalement connu pour ses savoir-faire, et même d’être formé par un Meilleur Ouvrier de France, Jean-Pierre Lengrand. J’y ai littéralement découvert un monde, empli de gestes et d’un vocabulaire spécifique, qui se situait à moins d’une heure de mon lieu de naissance et dont je n’avais pas conscience. Et dans mon travail, je souhaite rendre hommage à ces femmes et ces hommes.

Avez-vous rencontré des obstacles à ce changement ?

Des obstacles, il y en a des tonnes. Mais les principaux, ce sont ceux qu’on se met soi-même. Il m’a fallu aller à l’autre bout du monde pour me sortir de mon quotidien, de mon confort, de mes craintes etc. J’ai la chance d’être soutenu par ma famille, même si cela a été difficile pour eux au début. A partir de là, je ne peux pas vraiment parler d’obstacles. Certaines personnes ne comprenaient pas ma démarche, mais même si j’ai eu droit à des réflexions complètement hors de propos, cela a toujours été de bonne foi et bienveillant.

Avez-vous le sentiment que ce type de démarche est suffisamment soutenu et encouragé ?

Clairement, mon parcours aujourd’hui est un peu le cliché du mec qui a fait des études supérieures et qui se paie le luxe de se reconvertir dans un métier manuel. J’utilise à dessein ces mots car de nombreux jeunes que j’ai côtoyés durant ma reconversion, qui eux étaient en formation initiale, n’avaient pas choisi leur orientation. On sait très bien qu’on envoie les jeunes pour qui l’école a échoué dans l’enseignement pro, sans jamais se demander s’ils avaient une quelconque appétence pour le travail manuel et encore moins les qualités pour. Jean-Pierre Lengrand, qui m’a formé, lui-même a dû choisir son orientation en deux minutes lors de son inscription en centre d’apprentissage. Il a coché la case menuisier en sièges, et quand il est revenu à peine deux minutes après pour demander à être en sculpture, on lui a dit que c’était trop tard. Il en a tiré le meilleur, sans jamais se plaindre, et sa carrière professionnelle qui l’a conduit jusqu’au titre de MOF est un beau contrepied à cela. Qui serais-je pour me plaindre ? D’autant plus grâce aux dispositifs de formation et d’accompagnement des artisans d’art mis en place par la Mission Régionale des Métiers d’Art de la Région Grand Est, dirigée par Christophe De Lavenne. Nous avons la chance d’être dans une région qui dispose de nombreux atouts pour les métiers d’art, grâce à la mission régionale et à la FREMAA. Bien sûr, désormais avec la crise sanitaire, tout le monde est un peu dans l’expectative, et de nombreux collègues ont peur de devoir fermer. Les crises sont toujours l’occasion d’opportunités, à nous de nous battre pour qu’au niveau national, l’artisan d’art soit officiellement reconnu dans ses compétences et ses spécificités.

Que vous apporte votre expérience antérieure dans votre métier aujourd’hui ?

Etre artisan d’art aujourd’hui, ce n’est pas seulement maîtriser un métier. C’est avoir une quinzaine de casquettes : il faut savoir faire sa comptabilité, faire sa communication digitale, organiser des événements, participer à des salons, vendre ses créations etc. Je pense que mon expérience antérieure m’a permis d’acquérir des savoir-faire et savoir-être très utiles pour être suffisamment agile.

Comme définiriez-vous votre démarche artistique ? Quelles sont vos sources d’inspiration ?

C’est toujours compliqué pour moi de synthétiser ma démarche. Beaucoup de sources d’inspiration très différentes se mélangent dans ma tête, que ce soit d’un point de vue formel ou d’un point de vue conceptuel. Je peux à la fois vous citer les artisans de l’Ecole de Nancy et de l’Art Nouveau, ou des ébénistes comme Rietveld aux Pays-Bas dont le travail est extrêmement différent. Les chefs d’œuvre des maîtres d’art japonais est bien sûr toujours présent, notamment dans mon travail des assemblages réalisés à la main, et, je l’espère, un peu sublimés par une démarche contemporaine. Je puise un peu partout, en peinture, en architecture, dans l’histoire beaucoup aussi. Et je souhaite que de plus en plus mes pièces reflètent ça, notamment mon travail artistique. La dernière œuvre artistique que j’ai réalisée, La Liffoloise, est une pièce conceptuelle rendant hommage aux femmes et aux hommes de Liffol-le-Grand, qui ne sont pas assez reconnus (et c’est un euphémisme !).

 

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