L’édition 2024 du salon a accueilli 20 000 visiteurs. Merci à tous ! RDV l’année prochaine du 7 au 11 novembre 2025. 

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Portrait de créateurs


Atelier Dreieck
Relieuses

Dans le cadre de « Strasbourg, Capitale Mondiale du Livre 2024 »

Pouvez-vous nous parler de la genèse de l’Atelier Dreieck ?

L’atelier Dreieck est le fruit de la collaboration entre deux amies de promo de l’école Estienne : Anne-Claire Fessard et Marion Huchet. À la sortie des études, nous avons fait des stages et travaillé dans différents ateliers, afin d’approfondir la qualité de notre savoir-faire. En 2013, une ancienne maître de stage, Eloise Baille, nous annonce qu’elle stoppe son activité et qu’elle recherche des repreneurs. Nous avions déjà le souhait de pouvoir un jour monter notre propre structure, mais cet événement a accéléré le projet. Nous avons donc eu la chance d’acheter en une seule fois toutes les machines et outils nécessaires pour notre métier, ainsi qu’un stock conséquent de papier, cuir, toile et carton.

© Zeineb Belkourati

Avec tout ce stock mis en palette et conservé dans un dépôt de meubles, nous nous sommes focalisées sur notre business plan, immatriculation et recherche de local. Nous trouvons finalement un atelier à Pantin, dans un quartier populaire que la mairie souhaitait dynamiser en accueillant des artisans d’art dans les différents locaux commerciaux de la ville. L’atelier ouvre officiellement en août 2014 et est situé à ce jour toujours à cette même adresse du 13, rue Lapérouse. En 2022, Anne-Claire Fessard prend son envol vers la Drôme et Marion Huchet conserve l’activité Dreieck pour monter une EURL. Anaïs Hurbain, ancienne stagiaire, rejoint Marion dans l’aventure pour continuer à travailler à quatre mains.

L’idée de ce projet était (et est toujours) de proposer un lieu et un savoir-faire alliant la reliure traditionnelle soignée et les projets contemporains. Laboratoire d’expérimentations graphiques, nous avons la chance dès le début de travailler sur des projets d’objets/livres avec des artistes contemporains, des designers et graphistes. Notre atelier se démarque alors à l’époque par le leitmotiv que toute ambition de reliures hors norme, avec des contraintes techniques ou esthétiques, est réalisable à partir du moment où l’on prend le temps de réfléchir, prototyper et accepter de sortir des cases de la pratique classique du métier. À partir du moment où le contenu est protégé et conservé (par une bonne couture, une couverture, et avec des matériaux de qualité), toute proposition de structures atypiques, de format et d’utilisation de l’objet sortant des sentiers battus est acceptée.
Depuis, nous continuons toujours dans cette direction, et sommes aussi maintenant spécialisées dans la fabrication en petite et moyenne série de livres d’artistes, boîtes de conservation et écrins pour la joaillerie.

Quelles sont vos formations respectives et comment influencent-elles votre travail ?

Nous sommes toutes les deux diplômées de l’école Estienne. Marion est sortie en 2011 et Anaïs en 2020.
Marion a ensuite suivi une licence en alternance et continué avec le Prix en perfectionnement de la mairie de Paris, lui permettant de travailler durant un an à l’atelier Devauchelle où elle découvre et apprend la restauration de livres anciens. Anaïs a continué sa formation en stages dans différents ateliers et a elle aussi terminé avec le Prix en perfectionnement à l’atelier Dreieck.
Le DMA option reliure/dorure de l’école Estienne (ancêtre du DNMADE) nous a appris toutes les bases de la reliure traditionnelle très soignée. Respecter des gestes inchangés depuis le moyen-âge, apprendre à être à l’aise avec les outils du relieur, avoir le souci du détail, de la perfection des finitions.
En deuxième année, tout cet apprentissage classique est bousculé par la demande d’utiliser ce savoir-faire afin d’expérimenter et d’innover des structures pour se diriger vers la reliure de création.
Cette formation influence beaucoup notre manière de travailler, car c’est elle qui nous permet de guider le client vers la structure qui sera la mieux adaptée à son projet, mais aussi d’être force de proposition dans les choix plastiques, graphiques. Avant l’école Estienne, nous sommes toutes les deux issues des arts appliqués.
Outre notre savoir-faire en reliure, nous savons donc également construire un projet, de la planche de tendances au prototypage, ce qui nous permet de ne pas être seulement des exécutantes. Nous nous considérons comme des artisanes designers.

Comme définiriez-vous votre démarche artistique ? Quelles sont vos sources d’inspiration ?

Que ce soit pour un projet de client, ou pour notre création personnelle (de reliure ou de papeterie), nous commençons toujours par examiner le contenu ou la fonctionnalité de l’ouvrage ou de la boîte. Le corps d’ouvrage et l’enveloppe de celui-ci sont intrinsèquement liés et cela permet d’avoir une cohérence dans l’objet. Notre travail est de sublimer ce qui se trouve « à l’intérieur ». Mettre en valeur, accentuer la curiosité de savoir ce qui se passe derrière la couverture sous le couvercle.
Notre démarche artistique en reliure est de réussir à raconter une histoire en travaillant les couleurs, les matières et la structure. Concernant la papeterie, nous travaillons plutôt le motif, réalisé en marquage à chaud. Nos sources d’inspiration sont essentiellement issues de nos voyages (visite de musées, de lieux de patrimoine). Nous aimons aussi toute l’imagerie des sciences, biologie, botanique, cartographie, que l’on s’approprie pour créer notre propre imaginaire scientifique.

Quels sont les techniques et savoir-faire que vous
utilisez dans votre travail ?

Nous travaillons la reliure traditionnelle et moderne et le cartonnage. Tout est réalisé avec des outils et machines manuelles. Les corps d’ouvrages sont exclusivement cousus (pas de dos carré collé).
Pour la reliure, le temps de travail et les différentes techniques utilisées ne sont pas visibles in fine. Pourtant, pour une reliure classique par exemple, ce n’est pas moins de cinquante étapes de fabrication ! La diversité des techniques pour un seul objet est vaste : la couture, le collage, le ponçage, l’endossure, la parure du cuir, la couvrure. Pour un seul ouvrage, les matières utilisées aussi peuvent être nombreuses : le papier bien sûr, mais aussi le fil de lin, la mousseline, les tranchefiles, le papier goudron, la carte à bulle, le papier kraft, le carton, et, enfin, la toile ou le cuir. Pour la restauration, nous utilisons du papier japon 9 grs, de la colle d’amidon et nous chinons des stocks anciens de papier, cuir ou autre, afin de réparer de potentielles lacunes. Enfin, nous avons développé une technique peu conventionnelle permettant de relier des planches en gaufrage (papier mis en relief) que l’on nomme « reliure articulée » et nous nous entraînons en ce moment sur la pratique de la dorure à la feuille d’or sur différents supports (cuir, bois, papier, etc).

Pouvez-vous nous parler de votre collection dédiée à Strasbourg ?

L’année dernière, nous avons eu le souhait de proposer aux visiteurs de résonances une collection de carnets inspirée de l’Alsace. L’idée nous est venue lorsque deux étudiantes de la HEAR de Strasbourg nous ont contactées pour un stage à l’atelier. Le souci de la transmission dans nos métiers est fondamental. Nous avons donc accepté leur demande, afin de passer un moment à les former pour qu’elles puissent approfondir leur technique de reliure. En contre-partie, nous leur avons proposé de nous aider sur ce projet de collection « Stras ‘ ». Cela nous permettrait de brainstormer sur des symboles alsaciens, avec des personnes vivants sur le territoire, afin de trouver des inspirations allant au-delà des représentations un peu clichées de la région.
Lama El Charif et Alice Debenedetti nous ont parlé de leur sensibilité pour certains détails quand elles se promènent dans la ville : les couleurs des façades, la grande rosace de la cathédrale, le houblon en fleurs, etc.

Nous avons voté pour trois pistes que chacune a développées :
– le motif du plant de Houblon, reprenant l’esthétique d’une planche de botanique
– les peintures sur les moules à Kouglof, interprétées de manière assez abstraite
– le travail poétique sur les rues de Strasbourg, avec un décor typographique représentant la déambulation dans les petites ruelles du centre.

D’habitude, nous travaillons nos motifs selon une envie du moment, un retour de voyage inspirant. Cette fois-ci, nous nous sommes imposées un thème et de cette contrainte en est sortie une multitude d’idées. Il était aussi intéressant de travailler à plusieurs, en réussissant à trouver une cohérence dans les trois motifs malgré les identités graphiques très fortes de chacune.

atelier-dreieck.com