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Portrait de créateur


Marion HAWECKER
Plumassière

Pouvez-vous nous parler de votre expérience et de votre parcours ?

Après avoir suivi des études d’arts appliqués et d’architecture, un diplôme d’architecte en poche et quelques années de pratique en agence d’architecture à Strasbourg, je suis partie à Paris me former au métier de plumassière à l’âge de 30 ans. J’ai suivi une formation de deux ans en alternance au lycée professionnel de la mode Octave Feuillet et au sein de la Maison Lemarié aujourd’hui installée à Aubervilliers. Après avoir acquis une précieuse expérience de trois ans dans cette maison à œuvrer pour la haute couture, la décoration et le prêt-à-porter de luxe, je m’installe à mon compte pour explorer ma propre pratique de la matière. Je suis aujourd’hui installée à Dole dans le Jura.

© Béatrice Grandclément

Pourquoi avez-vous choisi cette voie et ce métier ?

Je crois que je m’étonnerai toujours moi-même de mon parcours, car j’ignorai tout de ce métier quelques mois avant de débuter ma formation. C’était d’abord une rencontre fortuite avec la matière « plume » qui m’a interrogée, puis au détour d’une conversation, j’ai découvert qu’il existait un métier dédié à cette matière. Ce fut immédiatement une évidence. Je crois que c’est un peu cliché de dire ça, on entend souvent cette tournure de phrase, mais je crois que l’on n’est effectivement pas seul à choisir sa matière, elle nous choisit aussi un peu, aussi étrange que cela puisse paraître. La plume avec toutes ses diversités de formes, de couleurs, d’origines et d’histoires est un médium fascinant et inspirant qui évoque en moi quelque chose de très intime et d’insondable. Aujourd’hui avec ma pratique personnelle plus « plastique », je peux en plus de cela explorer des thèmes et des sujets qui font davantage sens avec cette matière. Je cherche à lui rendre son caractère vivant, animal, incarné.

Quelles sont les étapes principales de votre travail, de la réception des plumes à la réalisation finale d’une œuvre ?

Que ce soit pour une pièce de commande ou de création, je réalise généralement en premier lieu des croquis rapides d’intentions, de volumes, de mouvements, de couleurs qui définissent les choix de plumes à employer et le type de support que je vais réaliser (s’il n’est pas déjà existant). En parallèle ou en amont, je fais également des recherches de références iconographiques et d’écrits. Je réalise la plupart du temps des petits essais ou des échantillons d’applications de plumes pour illustrer mon intention et tester les choix de plumes au préalable.

Je travaille soit avec des plumes que j’ai déjà en stock ou j’en commande. Je peux teindre les plumes en fonction de mes besoins. Je prépare dans un premier temps mon support, les matériaux peuvent être très variables : papier, plâtre, argile, textile, etc. J’établis une sorte de palette avec toutes les plumes et autres matériaux que je souhaite utiliser. Cela prend généralement toute ma table, ainsi je peux à ma guise puiser et sélectionner ce qu’il me faut. Avant d’appliquer les plumes, je les passe d’abord à la vapeur pour leur redonner du gonflant et de la souplesse, puis je vais les trier les plumes une à une. Cette étape fastidieuse me permet de sélectionner les plumes en bon état, avec la forme et la texture qui m’intéresse selon la transformation voulue. Je peux ensuite les couper et les coller directement ou bien les découper afin de leur donner une forme particulière, ne sélectionner qu’une partie, les friser, les encoller, les frimater, les parer, les courber par exemple. Une fois préparées, les plumes sont alors montées sur le support une à une.

Quelles sont les techniques spécifiques que vous utilisez pour transformer les plumes ?

Je ne réalise pas les mêmes gestes avec une plume d’autruche qu’une petite plume d’aile d’oie. Comme je l’ai mentionné avant, il existe des techniques propres à la plume servant à modifier son aspect originel tel que la teinture, à chaud ou à froid, la découpe permettant de modifier sa forme par enlèvement de matière, le frisage qui permet de boucler les barbes des plumes, le frimatage qui permet avec la vapeur de tourner sur elle-même une plume pour former une sorte de goupillon, le parage qui permet d’affiner sa cote (arête centrale de la plume) et l’encollage qui consiste à déposer de la colle très finement sur la plume afin d’assembler toutes les barbes entre elles et pouvoir découper la plume librement pour composer des marqueteries par exemple. Les techniques sont ainsi très variées de par la richesse des formes et des textures des différentes typologies de plume employées. On retrouve ensuite différentes techniques d’assemblage et de montage sur support comme le collage, la couture, la ligature ou le montage au fil sur une tige de laiton pour la fabrication de fleurs et branchages.

Que vous a apporté votre expérience et vos
collaborations avec les maisons de mode ?

C’est avant tout là que j’ai appris mon métier : les gestes, l’organisation, l’exigence, le travail d’équipe, l’héritage d’une maison et une partie de son histoire. Les métiers d’art se transmettent de mains en mains, d’astuces et de pratiques propres à chaque atelier. Chez Lemarié, j’ai eu la chance d’avoir des maitres d’apprentissage géniales de deux générations différentes, qui m’ont permis d’apprendre des techniques anciennes, d’autres plus actuelles et de les mettre en application grâce à la diversité des projets réalisés au sein de l’atelier pour les différentes maisons de mode. C’est aussi là que j’ai eu l’opportunité de travailler pour des projets fous, de par leur qualité et le savoir-faire engagé.

Quelle est l’importance de la collaboration dans votre
travail ?

Je m’accorde toujours des moments dans mon travail pour la collaboration. Cela se fait d’ailleurs un peu naturellement au grès des rencontres avec d’autres artisans ou créateurs. La plume est une matière qui vit difficilement toute seule, elle nécessite toujours d’autres matériaux pour la supporter ou la tenir et souvent par envie de la mêler à certaines matières je vais faire appel à d’autres artisans. C’est parfois aussi juste l’envie de travailler ensemble, de raconter quelque chose à plusieurs, de faire parler les matières qui rendent la collaboration juste évidente et joyeuse. Ou encore, il arrive qu’on fasse appel à moi pour réaliser des commandes qui souvent m’emmèneront dans un univers inconnu avec un vocabulaire que je n’utilise pas habituellement. Et j’ai plaisir à m’y aventurer, car j’en ressors toujours nourrie d’autres réflexions, de nouvelles difficultés techniques résolues et d’échanges riches.

© Marie Benattar
© Marie Benattar

Comment le métier s’adapte-t-il aux nouvelles tendances notamment en matière de durabilité et de respect de l’environnement ?

Étant une matière naturelle, mais surtout animale, l’emploi de la plume est très réglementé notamment par la réglementation CITES (convention de Washington) qui vise à protéger les espèces végétales et animales sauvages. Ainsi, les plumes utilisées proviennent d’oiseaux d’élevage. Des efforts ont été également faits dans les traitements de conservations et de teintures des plumes afin qu’elles s’adaptent aux réglementations actuelles.

Qu’est-ce qui vous motive à continuer dans ce métier artisanal, souvent exigeant et minutieux ?

Il suffit que je prenne ma pince et des plumes en main pour le savoir ! Dès l’instant où je commence à manipuler la matière, je suis dans le plaisir de créer et de faire, dans la recherche de la bonne plume au bon endroit, puis d’une autre et d’un geste qui se répète, un rythme qui s’installe, puis un monde qui se fabrique. C’est un moment suspendu qui me transporte un peu ailleurs malgré les heures passées.

Que vous a apporté la distinction « Lauréate du Prix de la Jeune Création Métiers d’Art 2021 du concours national Ateliers d’Art de France » ?

Cela m’a tout d’abord permis d’avoir plus de visibilité auprès des professionnels et amateurs des métiers d’art par le biais de la presse et donne l’opportunité de présenter mon travail au salon Révélations à Paris en 2022. Cet événement m’a permis de faire de belles rencontres humaines et professionnelles, d’être invitée à exposer à l’étranger, de collaborer avec d’autres créateurs et artisans. Et de manière plus personnelle, ce prix a été un moment de reconnaissance réconfortant au début de ma pratique qui m’a portée et encouragée à continuer dans cette voie.

marionhawecker.com